Parfois je me demande si on ne me met pas en gage, à vouloir me garder en sureté sur l'île. Je reconnais, même si cela me coûte de l'avouer, que je ne suis plus l'atout que j'étais autrefois, mais je ne suis pas encore un poids ! J'ai l'expérience et les sens habitués au danger. Rester à l'abri ne fait que m'émousser comme une arme qu'on abandonne dans un coin et qui finit par rouiller. Je refuse de finir ainsi.

C'est plus facile d'obtenir ce que l'on veut quand l'on n'est pas seul, j'ai donc profité de l'envie de Yu de sortir pour en faire de même. Pour cette fois, je n'ai même pas eue besoin de lui glisser cette idée de liberté dans la tête, elle l'avait déjà et j'ai simplement appuyé sa décision à grand coup d'argument irréfutable, ou presque. Parfois il suffit simplement d'empêcher les gens de répondre par un flot ininterrompu pour qu'ils oublient le principal.

Je profite de l'air frais de début du printemps et du silence que troublent le bruit léger de nos pas. Mon regard passe en revu les changements depuis la dernière fois que j'ai pu faire cette sortie alors que mon oreille reste attentive, autant aux paroles de la prêtresse que de la vie sauvage. Alcmène n'a pas tords dans ces propos, mais je sais que je n'ai plus l'âge d'abattre une telle créature. La pister, oui, mais la coincer et l’abattre demande de l'effort et de l'endurance qui baissent en moi jour après jour même si je le cache. Quant à Yu... Soyons honnête, ce n'est pas une chasseuse et elle ne le sera sans doute jamais. Nous risquions bien d'avantage d'attirer l'attention et de se faire blesser que de rapporter une si grosse proie.

"Cette petite apprends vite et bien. Elle n'a pas tord sur le temps."

J'avais une touche de fierté dans ces paroles, comme si elle était ma propre fille. Après tout, c'est également moi qui lui apprenait tout et si parfois je la trouvais encore trop douce, gentille et parfois un peu naïve sur le mal encré dans le genre humain, elle en restait pour autant l'une des rares personnes en qui je tenais ici-bas. La seule même, peut-être, depuis l'assassinat d'Anne.

Mon regard traine un instant sur les troncs coupés avant de chercher silencieusement des traces, histoire qu'on ne rentre pas les mains vides et que l'on prouve, encore, notre valeur. Enfin, la mienne surtout. Je cherche principalement du lièvre ou, mieux, du renard, vérifiant les traces au sol et sur les arbres.

"Patrouiller, ce n'est pas suffisant. Nous devrions poser des avants-postes et leur tirer dessus à vu. Aucun d'eux ne mérite qu'on leur donne la moindre compassion. Comme aurait dit la Prophétesse, l'épidémie n'est-elle pas faîte pour nettoyer notre monde ? Alors aidons-la en éliminant ceux qui ne méritent pas d'y vivre en s'attaquant si lâchement à des personnes sans la moindre défense."

Avais-je de la rancune envers ces assassins ? Totalement. Pour moi, aucun WLF n'avait désormais le simple droit de respirer. Je n'avais pas la naïveté d'Anne à croire qu'un sourire et quelques mots échangés allaient permettre une paix durable. Celle actuelle, déjà, sentait mauvais et n'était, à mon avis, que poudre aux yeux. Une foutu trêve qui me donnait envie de vomir. Trouvant les traces d'un renard, je lui fit silencieusement signe de me suivre.