Il n’est pas question de vengeance. Ni même de déboire, ou de déchéance. C’est loin de ces trames dramatiques et factices, que s’est écrite mon histoire et ses sévices. Il n’a jamais été question de quelque autre nécessité, si ce n’est que de l'égoïsme et de la curiosité.

Peut-être est-ce de la lâcheté. Peut-être par souci de facilité.
Pourtant s’en éloigner, ce serait faire fi de la vérité.

Sachez avant tout qu’il n’y a pas de lumière sans obscurité, et que sans ténèbres elle n’aurait de raison de briller.

*  *  *

- 2013.

Tout. Tout était d’une routine déchirante, d’une absurdité des plus aberrantes. L’on vivait comme s’écoulait la pluie, telle d’une fatalité faite d'un réel ennui. Vingt-huit ans déjà que je vivais dans ce monde monotone où il était de coutume d’avancer avec des objectifs illusoires, et mes desseins qui se peignaient  étaient tout aussi teints de blanc et noir.

Issue d’une famille ni riche ni modeste, je m’en détachai et m’en exilai avec une étrange amertume funeste. Pour tout avouer à l’origine si je pris la voie médicale, ce fut plus par envie de démarcation et d'intérêt personnel que par vocation viscérale. Le besoin de me sortir de cette infernale routine aux engrenages bien graissés, à chercher à définir les limites même de l’humanité… Une PACES suivie d’années d’internat tous aussi similaires et peu stimulantes plus tard, j’avais atterri dans cet hôpital et son teint blafard. Toujours avec cette étrange sensation d’inachevé, ce sentiment désespérant qui ne cessait de me coller. Malgré le temps qui continuait de s’allonger, ou encore les interventions qui chaque jour se multipliaient ; peu importait combien d’Hommes pouvait-on soigner et aider, ils retournaient dans leurs vices et s’y noyaient. Après leur rétablissement, les patients retournaient à leur travail sagement, gagner leur pain jusqu’à en mourir et léguant ce fardeau à leurs enfants. Et pourtant ? Toujours aussi peu d’égard entre eux, toujours autant de violence ou de regards haineux.

Et moi avec cet horrible égard désabusé, je n'étais pas franchement mieux c’est vrai.

Robert King, chef de service et chirurgien de renom, lui, savait en faire abstraction. Il prenait toujours le bon côté de l’Homme et lui cherchait un espoir lumineux, il était sans conteste ce genre de lumière que l’on suivait dans un ciel ténébreux. Il était à mes yeux aussi détestable qu’admirable, et c’était en cela qu’il était un leader implacable.

Alors, lorsqu’arriva “l’incident”, il fût d’emblée notre référent. Cette année-là au sein même des entrailles de cet hôpital banal, naquit le porteur de quelque chose bien pire encore que le Mal. Petit à petit notre piètre salle de pause se mua en lieu d’étude plus sérieuse, puis de recherches minutieuses. Mon monde se transformait, ma raison d’être était de trouver les origines de ce trouble inconnu et sous-estimé. Mon nihilisme cynique fondait derrière les pas de cet homme et sa nouvelle cause, et ce ne fût que sous le poids de l'imminent danger que mon regard se voulait moins morose.

Une étincelle en naissance, ou peut-être un choc d’une certaine puissance ; peut importait la qualification qu’on lui donnait, ce changement en moi s’était opéré.



- 2015.

Les flammes à éteindre pour mes trente ans n’étaient guère celles de bougies vacillantes, mais celles d’une Shadeville agonisante abandonnée dans sa propre tourmente.

Notre groupe à l’origine restreint s’était développé et n’avait jamais été si uni, arborant ce drapeau intangible dont le sobriquet de Fireflies résonnait au coeur des conflits. Des premières recherches du vaccin au soulèvement de rebelles dans la zone de quarantaine, rien n’eut plus qu’à cet instant-ci une suite aussi incertaine. Face à ces flammes et leur horizon semblable à l’Enfer, leur ardeur incandescente qui venait de tout défaire. Tout s'effondrait, deux années d’une telle intensité devaient abdiquer.

La cadence des cris, les coups. La symphonie désaccordée qui s’opérait autour de nous.

La panique grandissante, les décisions indécentes.

Les corps et la cendre sous le joug de l’âcre odeur du sang qui régnait en maître, là même où deux ans plus tôt l’espoir venait de naître.

Notre combat avait laissé place à l’échec au sein de ces ruines de désolation, également preuve irréfutable de l’humanité et de son éternelle aliénation.

Le début d’une fin clôturée par des bombardements, le berceau de cette histoire avait bel et bien cédé finalement. Un mal pour un bien ou peut-être l’inverse quelque part, il marqua cependant notre indicible départ. L’on posa pied à Bear Valley ébréchés mais toujours résolus dans notre démarche, et pourtant ce fût un nouvel affrontement qui se mit en marche. La FEDRA qui se disait protéger, ne faisait ici-bas qu'annihiler. Ce n’était plus un conflit mais une guerre, et le vainqueur déciderait de la nouvelle ère. Comme si le Cordyceps ne suffisait pas il fallait se cramponner à la violence, comme si la mort omniprésente n’était pas séante il fallait combattre pour une quelque sentence. Il fallait prendre les armes pour nos idéaux, pour l’espoir de nous sauver de cet échafaud ; là où en face la solution était le pure anéantissement, il était bien difficile de se rendre simplement en l’acceptant.

Et seul ce conflit se voulait grandissant, puisque le reste ne pouvait progresser plus amplement. Manque d’effectif ou même plus simplement de matériel, rien des recherches ou de notre cause ne pouvait avoir une évolution réelle.



- 2021.

C’est alors qu’en 2017 s’éteignit la douce lueur de la Luciole que l’on incarnait, et de la chaleur réconfortante qu’apportait l’espoir du chemin qu’elle éclairait. À petit feu doucement étouffée, l’issue de cette guerre l’avait finalement consumée. En conclusion de ces deux années d’affrontement, la FEDRA avait battu en retraite finalement.

Mais ce fut au prix de tout ce qu’on avait construit : un démantèlement en était ressorti.

Quelque part ce fut à cet instant que le monde reperdit de ses couleurs, les Fireflies laissant par cet envol un quelque vide dans mon coeur. Je me devais à nouveau de naviguer dans un océan d’amertume et de déceptions, dans un quotidien serti de règles changées par le Cordyceps et son apparition. Toujours pas de clé de résolution en main, toujours pas de fiabilité concernant un vaccin… Et la possibilité même d’en effectuer les recherches venait de s’éteindre, il fallait maintenant vivre dans ce décor bien triste à dépeindre. Je finis par trouver refuge à East Heaven et sa vie étrangement similaire à autrefois, m’effaçant dans le berceau des Sun non sans quelques regrets parfois. Mais c’était ma meilleure option... Car par l’âge et l’épuisement mental des conflits offraient finalement peu d’options. De part mes connaissances et mes capacités, une affectation à une place de recherches et d’aide aux soins me siait.

Cependant… Tout. Tout devint d’une routine déchirante, d’une absurdité des plus aberrantes. L’on vivait comme s’écoulait la pluie, telle d’une fatalité avec un réel ennui. Comme avant tout cela je vivais dans un monde monotone où il était de coutume d’avancer avec des objectifs illusoires, et mes desseins qui se peignaient  étaient tout aussi teints de blanc et noir. À nouveau cette étrange sensation d’inachevé, ce sentiment désespérant qui ne cessait de me coller. Malgré le temps qui continuait de s’allonger, ou le travail qui chaque jour se multipliait ; les gens faisaient semblant de pouvoir ignorer la situation et retournaient à leur travail sagement, gagner leur pain jusqu’à en mourir et léguant ce fardeau à leurs enfants.

Quelle dérision, vraiment.


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Les Fireflies n’étaient heureusement pas totalement annihilés, et j'ai fini par le découvrir au détour de quelques années. J'ai été recontactée, bien que la discrétion m'ait été demandée.

L'espoir est malgré tout cela permis finalement, et c'est à mes yeux comme une bouffée d'air dont on se délecte vraiment.

Plus que jamais, une lueur brille dans l'obscurité. Pointant vers l'horizon effacé par les ténèbres de notre présent, revient enfin le guide que l'on attendait tant...