(avril 2021)

le soleil se couche de plus en plus tard depuis que le printemps a pointé le bout de son nez. night ne sait pas si elle aime vraiment ça, d’avoir encore quelques rayons de soleil jusqu’au soir. elle a toujours préféré le calme de la nuit.
il est un peu plus de 18h et hovden s’active. entre ceux qui rentrent de patrouille ou ceux qui partent. les quelques téméraires qui se dirigent vers la fosse, et les plus raisonnables vers la taverne. ou l’inverse.

night elle, ce n’est ni l’un ni l’autre. son père à bien tenté de la jeter dans la fosse à ses 17 ans, mais même chez les hunters, on est pas aussi inhumain envers les gamins.
quant à l’alcool, elle n’aime trop pas ça. son père buvait beaucoup et ça n’a jamais été beau à voir. elle refuse de devenir comme lui.
elle s’est rabattue sur la clope, tire ses lattes pour se détendre et évacuer le trop plein de stress. mais en période d’apocalypse les ressources se font rares, et l’addiction est compliquée à assouvir. alors pour compenser, ça lui arrive de taper dans la boisson, avec une petite grimace de dégoût parce qu’il faut être fou pour trouver ça bon.

elle s’est fait discrète, night, ce dernier mois. la patrouille avec achilles à laissé ses marques. ses mots gravés à jamais dans le fond de son crâne, faisant voler en éclat les repères qu’elle avait mis un temps fou à construire.
pauvre enfant était de nouveau complètement perdu, sans savoir à quoi se raccrocher, sans savoir en quoi croire.
parce qu’elle sait qu’il dit vrai. qu’elle est bloquée dans le passé, le fantôme de son géniteur qui la hante depuis toujours, et qui n’est pas parti lorsqu’il est mort.
mais aller de l’avant, c’est trop dur.
night est lâche, elle préfère fuir.
c’est plus facile.

il y avait eu aussi deux semaines après, l'altercation avec le sun, rohan johnson. pris au piège non lui des ruines du territoire des sun, ils s’étaient fait agressés par des rôdeurs. s’en était sorti indemne, ou presque.
nouvelle blessure au bras gauche, décidément, ces foutus infectés aimaient bien la mordre. le petit prince l’avait vu se faire mordre, et devait sans doute la croire morte. sacrifiée pour ses beaux yeux, quelle belle fin !
mais night n’est toujours pas cané, merci l’immunité. alors encore une fois, elle avait bandé ses plaies, caché ça sous une tonne de tissue et s’en était sortie sans trop de mal.
mais depuis une dizaine de jour, les remarques avaient fusé. “bah alors night, t’es moins précise que d'habitude ?” “tu sais plus viser ?” “t’as moins de hargne ou quoi ?”.
blessure au bras oblige, et même si la blonde est droitière, pour survivre on a besoin de ses deux mains.

“ah, evans. faut que j’aille à la fosse mais j’ai besoin de transmettre ça au chef. il est à la taverne, vu que tu vas dans cette direction, tiens.”

on l’interpelle alors qu’elle marche, les yeux fixés vers le sol et la mine sombre à ressasser encore une fois les mêmes discussions.
elle tire la gueule quand elle récupère le paquet dans ses mains, veut protester, mais le type qui vient de l’interpeller et déjà parti.
super.
à qui elle doit livrer ça déjà ?
ah oui, à leur chef.
c’est qui, leur chef, déjà ?
ah.
c’est achilles wicked.

décidément, le monde est contre elle. alors night peste, insulte le ciel, et se décide à bouger jusqu’à la taverne. plus vite se sera fait, plus vite ça sera finit.
elle pousse les portes du bâtiment et pénètre à l'intérieur. une fraction de seconde après, et elle se sent déjà agressée par le bruit des rires rauques et l’odeur de l’alcool qui empeste.
putain.
pauvres types.
le regard mauvais, elle balaye la pièce. il y a les habitués au comptoir, leur choppe dans les bras à draguer les quelques femmes qui passent. d'autres qui haussent le ton non loin de là, pour savoir qui a raison et qui finiront sans aucun doute dans l’arène pour se mettre d’accord. les quelques joueurs de fléchettes dans le coin qui s’amusent à viser la cible. certains avaient voulu tenté le lancer de haches, mais ça avait mal fini, et le patron avait interdit les armes. et puis, au coin fumeur, il y a achilles. grand achilles au teint pâle et aux longs cheveux noirs, qui dénote dans cette cacophonie rustre.

““tiens.”

pas de bonjour, pas de contexte. juste un grognement. night s’est approché en silence, évitant la foule, pour venir se planter devant le boss. la main tendue, elle tient le paquet dans ses mains.
quand il lui aura prise, elle fera demi-tour et disparaîtra. mais pour le moment, elle tire la gueule, juste énervée de voir sa tronche et de devoir jouer les facteurs.

(avril 2021)

elle le fixe, il la fixe. l’ordre est silencieux, mais achilles commande aux gros bras installés à côté de lui, qui se décalent instantanément pour laisser place à la blonde. sourcil qui s'arque. il ne pense quand même pas qu’elle va venir s’installer à ses côtés pour prendre un verre avec lui, si ?  
elle n’en a pas envie. elle a juste envie de repartir. elle n’a nulle part où aller et rien à faire, mais l'ennui et le néant, ce sera toujours mieux que d’être à côté de lui.

évidemment, l’accueil est une remarque. elle ne joue pas les pigeons voyageurs pour le plaisir, et il le sait très bien. c’est un chasseur, pas un facteur. night ne dit rien, mais son visage transpire l’impatience. l’air de dire: “c’est bon, je peux partir maintenant ?”.
mais achilles sourit, fait glisser le colis entre ses doigts et l’ouvre. et night est un peu curieuse tout de même de savoir ce qui se cache sous l’emballage. elle aurait pu l’ouvrir et se barrer avec. ne l’a pas fait parce que ça aurait été donner de l’importance au wicked. et ça, jamais.

elle hausse ses épaules à sa question. rien de neuf. enfin si. les questions existentielles, la chasse et la survie, et ce sale petit con de rohan.
mais rien qu’elle n’ait envie de lui dire.
dans le colis, un paquet de clopes, une tablette de chocolat, et de quoi écrire. night lorgne sur les clopes. combien de temps ça fait qu’elle n’a pas tiré sur une latte ? une semaine, peut-être. elle avait chopé un paquet qui s’est vite volatilisé pendant sa convalescence.
en tout cas, ça fait trop longtemps. c’est peut-être pour ça qu'elle est aussi nerveuse et torturée, le manque de nicotine, quel fardeau difficile.

c’est donc avec une déception notable qu’elle observe le bout de chocolat.
elle fronce les sourcils, se refuse à le prendre. elle ne veut rien devoir à achilles, pourboire ou pas, c’est une question de fierté. et puis, du chocolat ? elle a une tête à bouffer du chocolat ? c’est plus une gosse, night, et ça elle a l’impression qu’il l’oublie. ça l’insupporte.
elle refuse du regard, le fusillant en silence, et s’apprête à partir, elle n’a plus rien à faire ici. le corps commence à se mouvoir pour faire volte-face, quand soudain, il y a un mot.
un seul.
merci.

alors night le regarde avec surprise. elle n’aurait jamais cru entendre ce mot là de la bouche de cet homme. jamais pour elle, tout du moins.
alors, pestant contre elle-même surtout, elle fait quelque chose d’absolument insensé.
elle s’assoie à côté de lui, et récupère le carreau de chocolat.

“c’rien…”

est ce qui semble le plus ressembler à un “de rien” de sa part. haussement d’épaule pour appuyer son propos, le regard vers la salle et surtout pas vers achilles, fuyant.

“et rien de neuf… comme d’hab. juste une n-ième altercation avec un idiot de sun. mais rien d’exceptionnel.”

elle répond à sa question posée en amont. se risque même à parler de rohan. ne mentionne évidemment pas les infectés ni son bras anciennement blessé.
fini par le regarder, achilles. achilles et sa clope, achilles aux doigts fin, achilles presque serein. ça fait bizarre de le voir comme ça, parmi la plèbe, parmi les hommes; elle qui l’a toujours considéré loin de tout ça.
le diabolisant depuis le premier jour, le haïssant depuis quatre ans sans faillir. mais que sait-elle de lui ? que sait-elle de lui si ce n’est ce qu’elle a décidé qu’il serait ?

“et…et toi ?”

pas de vouvoiement râté cette fois-ci, mais une hésitation certaine tout de même, pour cracher ses mots. night ne sait plus en qui croire et quoi penser, foutue vulnérabilité. alors la voilà à essayer d’être un minimum décente. à peut-être lui donner une chance.
elle se mord la lèvre night, regrette. pourquoi est-ce qu’elle agit comme ça ? pourquoi est-ce qu’elle ne s’est pas tout simplement barrée sans se retourner et sans dire au revoir ? pourquoi la gêne, les regrets, et la vulnérabilité ?

“mais honnêtement, je suis plus tabac que chocolat.”

lâche-t-elle en soufflant du nez, comme pour râler. night reste night. toujours là à se plaindre, toujours là à la ramener. mais c'est important. parce que tout de même, night n’a plus huit ans. .

(avril 2021)

comme c’est une sensation étrange que d’être assise là à côté de son bourreau, à côté de l’homme qu’elle déteste le plus sur cette terre depuis la mort de son père, à côté de l’assassin de celui-ci, de celui qu’elle a depuis toujours diabolisé.
comment c’est perturbant d’être là, le goût du chocolat qui fond dans sa bouche, à discuter de son quotidien avec son pire ennemi.

elle hausse un sourcil en entendant achilles parler du fils du maire. putain mais oui, c’était ça qu’il raillait en continue depuis qu’elle lui avait volé son sac. ce sale petit con était le fils de l’ancien maire de east haven.  ça expliquait beaucoup de choses sur son côté absolument insupportable.
alors night, devant l’absurdité de cette révélation, ne peut s’empêcher de rire.
c’est peut-être la première fois qu’elle rit depuis cinq ou six ans.
que sa voix éclate l’air avec sincérité, abandonnant l’ironie, l'amertume ou la nervosité.

“putain c’est le fils du maire ! sérieux ?” le ton est soudain moqueur. “c’est pour ça qu’il est aussi insupportable, bordel.”

elle voudrait lui raconter la crise piquée parce qu’elle lui a soi-disant volé des produits de beauté. sérieusement, quelle plaie.  mais night se rend compte de ses murs abandonnés, et détourne le regard d'un air gêné.
ce sera la première et dernière fois qu’elle rira devant lui.
mais l’homme lui offre la cigarette et night ferme les yeux en sentant la fumée qui s’infiltre dans sa gorge. c’est mauvais, elle le sait. mais entre mourir d’une tumeur due au tabagisme ou dévorée dehors, le choix est vite fait. elle n’est déjà pas sûre d’atteindre l’âge canonique où on commence à choper ces sales trucs.

remerciement silencieux du regard pour la cigarette. rien de plus.
elle se sent un peu penaud à côté du grand achille. un peu vulnérable, un peu perdue. ça la déstabilise pour sûr, ces gestes qu’elle ne connaît pas.
c’est qu’elle ne sait pas gérer, night, ces choses là. trêve, paix, sérénité, tendresse ou douceur.
elle a grandi dans un foyer aux sentiments maladroits. c’est de là tout son côté rude, cette carapace sur son minois.

“non.”

c’est tout ce qu’elle trouve à répondre au sujet du chocolat. parce qu’elle se sent déjà trop mise à nue pour ne pas se braquer comme ça. récupère son regard foudre, parce qu’il n’y a que la rage et l’orage qu’elle sait gérer correctement.
elle fixe la taverne, encore. réfléchit aux paroles d’achilles, et à celles d’encore avant. des abrutis hein, au moins, sur ça, ils étaient d’accord. mais si c’est de notoriété publique que night déteste les siens, ce n’est pas censé être son cas.
pour la première fois, elle a l’impression que son meneur est fatigué. fatigué d’être qui il est.

“pff… ça l’est pas déjà, l’anarchie ?”

qu’elle demande en expulsant de la fumée dans un soupir. le coude sur la table et la joue contre sa paume, night observe les alentours avec un petit air blasé. sans tourner la tête, mais seulement du coin de l'œil, elle observe achilles.
le regarde pour de vrai peut-être pour la première fois.  
c’est quel genre d’homme, déjà, le chef des hunters ?

“ça fait quoi d’être le chef de “ces abrutis” ?”

elle reprend ses termes avec un peu de sarcasme, mais la question est plus profonde. la question est une preuve de quelque chose d’un peu plus réfléchis, d’un peu plus sincère, qu’une simple raillerie.
parce que night, en demandant ça, en choisissant ses mots, elle fait plus que ça.
elle ouvre un dialogue.
pour la première fois.

(avril 2021)

rohan putain de johnson est donc le rejetton de l’ancien maire des suns. probablement que night s’en serait doutée si elle l’avait vraiment écouté ou réfléchi plus de deux minutes. mais bon, penser à rohan est loin d’être dans ses priorités, et elle préfère continuer de le voir comme un clébard en train d’aboyer.
enfin, elle comprend mieux ses divers propos et propositions et pourquoi est-ce qu’il a un égo proportionnel à sa nullité. décidément, les chiens ne font pas des chats. le rejeton du maire… quel petit merdeux.

“il ne nous aime pas trop, en tout cas. je crois qu’il m’en veut de la fois où je lui aurais soi-disant volé sa crème de jour.”

elle lève les yeux au ciel. ça, c’était vraiment la cerise sur le gâteau de leur altercation. elle y repense. les infectés, la carrière, la morsure… sa main droite vient sérrer son avant-bras gauche par réflexe, avant de récupérer sa cigarette et en écraser les cendres.
elle ne s’est pas rendu compte, night, dans tou ça, que pour la première fois peut-être, elle a employé le “nous” pour parler des hunters.
elle qui s’en est toujours tenue terriblement à l’écart. elle qui passe son temps à cracher sur cette faction presque plus que les autres. elle qui les déteste de tout son être.
eux, elle.
nous.

“un soupçon de hiérarchie dans l’anarchie de l’apocalypse. ‘sont forts, les hunters.”

ça pique un peu. c’est qu’elle n’aime pas trop ce système, cette loi du plus fort, le fait de suivre un chef. elle aimerait bien que tout s'effondre ou que tout brûle. probablement les deux. elle fronce un peu les sourcils quand achilles lui désigne du menton les gros bras de la taverne. elle affiche un sourire un peu mauvais, un peu effronté.

“à ton avis, t’es suivi par respect ou par crainte ?”

les hunters respectent-ils leur leader, ou sa force ? elle toise encore un peu les plus forts du groupe. elle ne peut s’empêcher de penser qu’il est là grâce à eux, au fond. elle aurait aussi envie de lui demander s’il n’a pas peur de subir la même chose que smith. s’il est sûr de la loyauté de ses hommes. s’il est sûr qu’on ne lui tranchera pas la gorge. comme il l’a fait à son père.

“je suis dans les abrutis ou les calibres ? les gamins c’est ça ?”

encore une question alors que sa clope est finie. elle se risque, night. baisse un peu ses barrières, délie sa langue et ses pensées.
au final, elle contemple un peu le bar. y’a pire comme groupe à diriger… ouais, elle veut bien le croire. les hunters sont des idiots, des brutes, des types cruels et égoïstes.
certes.
mais ce sont aussi juste des hommes. des hommes qui essayent de survivre. et dans tout ça, il y a presque le contour d’une communauté. presque l’esquisse d’un foyer… que même elle est capable de percevoir. même si elle préfère garder les mains devant les yeux.
alors elle hausse juste les épaules.

et puis achilles passe son bras autour du siège de la blonde qui se crispe d’un coup. la proximité qu’achilles instaure avec elle la met soudainement mal à l’aise. elle à tout à coup trop conscience d’elle-même et elle n’aime pas ça. vraiment pas.

“moui…”

c’est le seul son qu’elle arrive à baragouiner dans tout ça.
elle n’a pas tellement envie, night, de se mélanger aux autres.

“j’suis bien toute seule.””

mieux vaut être seul que mal accompagné, non ?

(avril 2021)

relle hausse un sourcil en entendant sa remarque. elle le sait bien, night, que tout le monde déteste les hunters. elle est la première à les détester, alors elle ne le sait que trop bien. le corps se crispe un peu et la demoiselle fait la moue.

“oui je sais. c’était ironique…”

grommèle en pinçant un peu ses lèvres. parce qu’elle n’aime pas être contredite, night. et encore moins passer pour une idiote.
mais la question d’après semble plonger achilles en réflexion, comme si cette interrogation était nouvelle pour lui. night, qui craignait au fond la réaction, se sent un peu soulagée de voir que sa question mérite réflexion et qu’elle est, de fait, un minimum pertinente et intéressante.
ça lui change un peu, night. elle qui est persuadée au plus profond d’elle-même d’être trop bête pour mener des discussions un minimum technique et profonde, et qui, de fait, se limite aux piques et aux insultes.
alors elle l’observe un peu quand il réfléchit. regarde ses traits, ses tics. c’est qu’elle ne l’avait jamais vu que par son prisme, night. celui de l’assassin de son père. et ça lui fait bizarre, un peu, de le voir comme un homme.

“j’sais pas.”

elle réfléchit à son tour. dans sa vie, night, à suivit deux personnes: son père et achilles. si elle les craint ? oui. dans les deux cas, il y a et avait de la peur.

“mais j’me dis… ouais, y’a du respect dans la crainte. mais y’a pas forcément de crainte dans le respect ? genre si ton chef c’est un type que tu respectes pour… j’sais pas moi, son intelligence, ses valeurs et sa manière de diriger, mais qu’il soit bien incapable de se défendre tout seul… ça donnerait quoi ? fin genre… ouais, nan. j’sais pas. laisse tomber. ”

elle n’en sait rien, night, en fait. et puis, de toute façon, à quoi ça sert de questionner un monde où elle n’a connu que la violence et la prise de pouvoir par la force ?
c’est l’apocalypse. il faut survivre. c’est la loi du plus fort.

alors elle se tait, un peu honteuse d’avoir tant (essayer de) parler.  un peu confuse devant toutes ses pensées qu’elle ne sait pas aligner.
alors elle avorte la conversation parce que c’est toujours plus simple de se taire. que night, elle ne sait ni débattre, ni philosopher. seulement grogner et se bagarrer.
détourne la tête au clin d’oeil.

“mais ok, tant mieux, je suppose, si tu crains pas de te prendre une balle…”

elle ne sait pas trop elle-même ce qu’elle veut dire pas là. si elle admet à demi-mot qu’elle n’a pas envie qu’il crève ou si c’est ironique. elle sait pas elle-même, night, ce qu’elle ressent pour achilles.
c’était plus simple de le détester sans le connaître.

“j’ai 22 ans quand même…”

grommèle encore quand il lui dit que ce n’est qu’une gamine. night, elle voudrait jouer dans la cour des grands. qu’on la respecte (qu’on la craigne) un peu quand même.

observe la bière qu’il lui tend. le regard qui fait des allers-retours, hésite. elle ne boit pas beaucoup, night. parce que son père, lui, buvait trop. et qu’elle a vu à quel point ça faisait des ravages. à quel point l’alcool est à la racine du mal. et qu’elle refuse de devenir comme lui. de lui ressembler un tant soit peu.
c’est pour ça qu’entre la clope et la choppe, elle choisira toujours la première.
mais, désireuse de paraître un peu plus adulte qu’elle ne l’est, elle s’autorise à boire une ou deux gorgées. la bière est fraîche, et elle doit avouer que c’est un peu agréable, malgré les bulles qui lui piquent un peu la gorge.
elle repousse ensuite la choppe, essuie la moustache de mousse sur ses lèvres.

volte-face quand elle entend l’ordre. le fusil du regard. elle ? s’occuper des petits gamins ? plutôt mourir.
elle refuse catégoriquement de faire du babysitting.

“... et qu’est-ce qui te fait croire que j’ai envie d’aller avec toi en excursion ?”

en réalité, elle a bien envie d’aller fouiller cet…aquarium ? c’est quoi, déjà, un aquarium ? à quoi ça ressemble ? c’est grand comment ? c’est là que y’a des poissons c’est ça ? c’est qu'elle n'a jamais pu aller dans ce genre d’endroit quand elle était gosse. aquarium, zoo, parc d'attractions… rêves de gamins qu’elle n’aura jamais pu découvrir.

“il est comment, euh…l’aquarium ?”

elle demande pour savoir, par curiosité. mais elle ne veut pas qu’il capte qu’elle n’a aucune idée palpable de ce que c’est.

“mais ok… je verrai.”

elle soupire, râle un peu. mais si night n’a pas été catégorique dans son refus, c’est qu’elle obéira sans doute.

(avril 2021)

elle rouspète un peu, dans sa tête, quand achilles ne la laisse pas avorter la discussion. d’une part parce qu’elle n’aime pas qu’on décide pour elle et ne pas avoir le dernier mot, night, mais d’autre part parce qu’elle ne sent pas capable d’exprimer ses pensées correctement. se bride parce que ça la bloque. de peur de passer pour une conne.
alors elle frémit quand achilles lui annonce que ce n’est pas idiot, ce qu’elle raconte. elle y croit à moitié, night. mais ça lui fait quand même quelque chose, ce soupçon de validation.

“mouais. en vrai, ouais. parce que c’est de l’autorité en fait. y’a crainte et respect dans l’autorité, sinon tu peux rien faire, j’pense.”

elle parle un peu dans sa barbe parce qu’elle n’ose pas trop oser la voix. elle fronce un peu les sourcils d’un air renfrogné en haussant les épaules quand achilles lui fait la démonstration avec les hommes dans la taverne. elle le prends comme un rappel à l’ordre, comme une preuve de force, et par principe, ça l’emmerde, night. elle aime pas voir achilles intouchable.

“et comment t’as fait alors, toi, pour remplacer smith ? il était craint aussi, y’avait des hommes prêt à tuer pour lui.” elle le sait. son père en faisait partie. “et pourtant, plus si craint que ça, visiblement.”

c’était y’a plus de 4 ans, tout ça. night venait d’en avoir dix-huit. l’âge de comprendre ce qu’il s’était passé, sans en connaître toutes les subtilités. parce que la politique et les enjeux de pouvoir, night, elle n’en connaît pas les ficelles. élevée à être une chasseuse, élevée à survivre, pas présidente de la république.

elle s’enfonce un peu plus dans sa chaise à la mention de ses escapades. lutte pour ne pas serrer son bras gauche, celui de sa blessure. elle a bien cicatrisé grâce au soin d’alcmène, mais elle doit la revoir demain. elle lui a promit, alors elle viendra. mais night elle n’a absolument pas envie qu’achilles découvre la supercherie. le fait qu’elle voit une séraphite en secret pour la soigner d’une part, mais surtout qu’elle est immunisée aux morsures d’infectés.
ça, personne ne doit rien savoir. et déjà trop de gens le savent, même s’ils se compte sur le doigts d’une main.

“ok ok, c’est bon, j’irai m’occuper des gamins."

elle râle, détourne les yeux, abdique. elle a jugé que c’était la manière la plus rapide de mettre fin à la conversation et d’éviter à jamais le sujet de sa blessure. s’il faut apprendre à des marmots à tirer à l’arc pour être peinarde et libre, c’est pas si cher payé, au final.

“l’après midi alors, le matin je dois vérifier mes pièges. puis ils seront plus sages avant le déjeuner et j’suis pas bonne babysitter alors c’est mieux pour tout le monde.”

et puis le matin, elle doit voir alcmène surtout.
l'intérêt regagne ses prunelles d’acier à la mention de l’aquarium. le regard qui brille presque, à la mention des gros poissons, comme un enfant émerveillé. mais aucun mot ne sort de ses lèvres, parce que plutôt crever que de l’avouer.
et puis il se passe un truc étrange.  un peu bizarre. night qui bégaye un peu alors qu’achilles lui sourit. lui, sourire, vraiment ? à elle ? il y avait quelque chose dans sa bière ? pas possible que ce soit la putain de réalité.
et pourtant les voilà tout les deux en dehors de la taverne. la nuit est tombée et les étoiles brillent dans le ciel. l’air frais lui fait du bien, même si la température est un peu basse. mais la gêne de se retrouver là avec son chef compense bien la sensation de froid. elle est nerveuse et un peu contractée, night, dans sa chaise pliante. le teint un tout petit peu rouge.
alors pour oublier, elle se concentre sur la voie lactée.

“les étoiles, je connais. un peu." pas les histoires et les mythes derrières. mais leurs positions, oui. merak et dubhé d'abord, puis en cette direction, cinq fois la distance pour tomer sur l'étoile polaire. la petite et la grande ourse, cassiopée, céphée et le serpent. amat de constellation bien pratique pour voyager. “c’est pratique pour se repérer. c’est peut-être la seule chose de positive à cette foutue apocalypse, d’ailleurs: la pollution lumineuse. maintenant on les voit bien haut dans le ciel.”

elle a baissé son ton naturellement, comme pour ne pas déranger les astres. elle en parle, parfois, avec artiome quand ils se voient. c’est un peu la seule chose sur quoi elle est vraiment capable de converser, outre la chasse et le combat. c’est maigre mais au moins, elle ne se sent pas toute ridicule quand artiome lui parle de ses grands romans et de toutes ses histoires.
la bouche un peu pincée, quand elle se rends compte, night, qu’elle, elle n’a pas de passion. pas facile de grandir pas comme les autres.

“c’est joli, quand même…”

elle le murmure tout bas, surtout pour elle-même. se détend finalement, là, sur son siège, minuscule face à l’immensité de l’univers.
baisse les yeux, ensuite. de honte, un peu.
hausse les épaules pour faire semblant qu’elle s’en fou.

“j’y connais rien en astronomie…”

c’est presque un bougon qui veut dire: “désolée de pas être capable d’en parler”.
parce qu’elle s’en fou pas vraiment, finalement.